La neige noire, nouveau témoin du réchauffement climatique
De la neige noire, en été au Groenland, c’est possible. C’est même un phénomène naturel, lié à la fonte des neiges lors des mois les plus chauds. Ce qui est moins normal, c’est la quantité record mesurée cet été par les équipes du projet scientifique "Dark snow".
Le projet "Dark Snow",
qui fait appel à un financement participatif, est emmené par le
climatologue américain Jason Box. Son but : prouver scientifiquement que
l’albédo du Groenland diminue. L’albédo ? C’est le terme qui désigne le pouvoir réfléchissant d’une surface.
Plus elle est sombre, plus l’albédo est bas, c’est-à-dire que la
surface réfléchit moins la lumière et l’absorbe par conséquent
davantage. La neige blanche a, à l’inverse, un albédo très élevé. De
même, c’est pour cela que, exposé au soleil, on a moins chaud en portant
un vêtement blanc qu’un vêtement noir.
Après
avoir passé deux mois près du glacier de Kangerlugssuaq au sud-est de la
grande île polaire, les chercheurs ont conclu que le Groenland s’était
couvert d’une quantité jamais vue de neige noire. D’après les premières
conclusions de leur enquête, ce phénomène est une manifestation concrète
et inquiétante du réchauffement climatique.
Au Groenland, entre de 250 à 400 milliards de tonnes de glaces fondent chaque année.
Photos de neige noire à l'été 2014, près du glacier de Kangerlugssuaq. Crédit : Jason Box.
Contributeurs
"La neige noire résulte du changement climatique et accroît en même temps ses effets"
Jason Box dirige le projet Dark Snow et travaille pour le Geological Survey of Denmark and Greenland à Copenhague.
Nous avons
passé deux mois à camper au Groenland et les résultats de nos mesures
et prélèvements montrent que la quantité de neige noire s’est accrue de
5,6% par rapport à 2013. Plusieurs facteurs expliquent cet
accroissement : il résulte à la fois de phénomènes biologiques, de
l’augmentation des températures mais aussi de dépôt de suie et de
poussière issue de feux de forêts. Ces facteurs s’influencent entre eux,
créant un cercle vicieux.
En ce qui
concerne les facteurs biologiques, nos études se sont concentrées sur
l’algue des neiges (Ice algae), qui se développe sur la glace en fonte
et se protège des rayons du soleil en créant un pigment noir. Et ces
pigments accroissent l’absorption des rayons du soleil par la glace, et
du coup favorisent sa fonte et donc la présence de neige noire.
Un second
facteur à prendre en compte, c’est que la fonte des glaces résultant de
la hausse des températures, est chaque année plus importante en quantité
et s’étale plus longuement dans le temps. Elle dure aujourd’hui environ
un mois de plus qu’il y a quinze ans. Nous avons aussi remarqué que
chaque année, la glace commence à fondre 15 mètres plus haut que l’année
précédente. Depuis 15 ans, on a ainsi "gagné " 200 mètres. Tout cela
contribue là encore à la prolifération d’algues des neiges, augmentant
de fait la surface de neige noire.
Enfin, si
cette neige noire était présente sur une surface record cette année,
c’est aussi dû à des dépôts de suie qui proviennent des feux de forêts
boréales. Les températures en hausse et les conditions climatiques plus
sèches en Arctique font que ces feux sont de plus en plus importants chaque année.
Il y a aussi sur la glace du Groenland des dépôts liés à des impuretés
qui résultent des activités des usines, que les vents transportent vers
le nord. Par ailleurs, la diminution du manteau neigeux dans les régions
arctiques provoque la remontée de poussières minérales, poussées
également par les vents.
En bref,
ces facteurs résultent eux-mêmes du réchauffement et en plus contribuent
à en accroître les effets. Le challenge, c’est de savoir la part que
chaque phénomène joue dans l’augmentation de neige noire. On ne peut pas
affirmer à 100% que la quantité de neige noire continuera à battre des
records. Mais avec l’accroissement global de la température sur Terre,
particulièrement effectif dans les régions arctiques, il y a de fortes
chances que cela continue.
Ce billet a été rédigé en collaboration avec Corentin Bainier (@CBainier), journaliste à FRANCE 24.
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